Me Mamadou Ismaila KONATE

Du glaive au droit : plaidoyer contre la confiscation militaire du pouvoir en Afrique

Mamadou Ismaïla KONATÉ
Avocat à la Cour
Barreaux du Mali et de Paris
Ancien Garde des Sceaux, ministre de la Justice

Quelle que soit la longueur de la nuit, le soleil finit par se lever.

Cette parole de Seydou Badian Kouyaté est une boussole pour les peuples d’Afrique, confrontés aux usurpations répétées du pouvoir d’État. Elle nous enseigne que, quelle que soit la violence de l’ombre, le jour finit toujours par triompher.

À ceux qui, aujourd’hui, prétendent incarner l’ordre en s’imposant par la force des armes, il faut dire ceci : le pouvoir d’État ne se conquiert pas dans la fureur des casernes. Il ne se détient pas par intimidation, ni ne s’exerce par effraction. Car les lois de nos nations, les règlements de nos armées, et les constitutions africaines elles-mêmes, interdisent formellement aux forces armées d’exercer le pouvoir politique.

Le militaire n’est ni souverain ni arbitre. Il est serviteur. Serviteur de la nation, et subordonné à l’autorité civile légitime. Le rôle de l’armée est de défendre le territoire, non de gouverner les consciences. L’armée ne fonde pas la République ; elle la protège, sous l’autorité du droit.

C’est pourquoi le peuple bamanan enseigne avec sagesse :

« On ne confie jamais à la même personne la chefferie du village et celle des esprits (n’ko n’ko bɛ̀ ma fò dòn kɔ̂). »

Dans cette parole ancienne se cache une vérité toujours d’actualité. La chefferie du village désigne le pouvoir temporel, politique ; la chefferie des esprits, quant à elle, concerne le domaine sacré des boli, ces puissances invisibles qui fondent l’ordre spirituel. Réunir ces deux autorités entre les mains d’un seul homme constitue une rupture grave de l’équilibre social et cosmique. Transposé dans notre époque, ce proverbe rappelle avec force qu’on ne peut être à la fois détenteur de l’épée et source de légitimité politique. Le soldat qui gouverne trahit sa mission, tout comme le politique qui manipule le sacré trahit le peuple.

« Le fusil peut tuer le roi, mais il ne sait pas gouverner le royaume », dit un autre proverbe africain.

Le pouvoir ne s’improvise pas : il se légitime. Il ne s’impose pas : il se mérite. L’exercice de l’autorité d’État, en démocratie, procède exclusivement du peuple et s’exerce dans le cadre fixé par la loi.

Il faut aussi le rappeler à ceux qui, au nom de leur famille, de leur communauté, de leur ethnie, de leur confession ou de leur région, applaudissent la prise du pouvoir par la force en espérant en tirer bénéfice : qu’ils sachent que l’État n’est ni une chasse gardée ni un butin de guerre. Il n’y a pas de patriotisme véritable hors du respect de la légalité. On ne peut aimer son pays en détruisant les fondements juridiques et constitutionnels de son fonctionnement.

À l’instar de ces dignitaires d’hier, élus dans les formes mais gouvernant contre le fond, les militaires d’aujourd’hui se font passer pour des sauveurs. Mais ils ne réparent rien. Ils usurpent, ils suspendent, ils imposent. Et comme ceux d’hier, ils tomberont sous le poids de leur imposture.

Car rien ne saurait durablement triompher contre la volonté du peuple. Rien ne remplace l’État de droit. Rien ne justifie qu’on tourne le dos à la Constitution.

La nuit peut être longue, mais le jour finit toujours par se lever. Et ce jour-là, la justice se dressera, les peuples parleront, et les imposteurs devront répondre.

Nul n’est au-dessus de la loi. Pas même ceux qui la tiennent en joue.

Mamadou Makadji

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