Me Mamadou Ismaila KONATE
Me Mamadou Konaté du Mali sur RFI : « La non exécution des décisions de la Cour de justice de la CEDEAO est assortie de sanctions »

Me Mamadou Konaté du Mali sur RFI : « La non exécution des décisions de la Cour de justice de la CEDEAO est assortie de sanctions »

L’avocat malien Mamadou Konaté était samedi dernier, l’invité de Sonia Rolley de Rfi. L’entretien avec cet ancien avocat d’Hissène Habré a porté sur la Cour de justice de la CEDEAO et la portée des décisions qu’elle rend en faveur ou à l’encontre des Etats membres de la CEDEAO. D’après Me Konaté, les décisions de la Cour de justice de la CEDEAO sont contraignantes pour les Etats et leur non exécution peut être assortie de sanctions. Ces sanctions peuvent aller jusqu’à l’exclusion de l’Etat récalcitrant. Lecture.

Mamadou Konaté bonjour, vous êtes un avocat malien, vous suivez de près les travaux de la Cour de justice de la CEDEAO, vous y aviez notamment eu recours en ce qui concerne l’affaire Hissène Habré. Vous faisiez à une époque partie des avocats de la défense de l’ancien président tchadien. C’est une Cour dont on entend de plus en plus parler. Dernière affaire en date, celle des députes de l’ANC au Togo qui avaient été exclus. La cour a condamné l’Etat togolais à réparer la violation des droits des députés ou encore autre décision, celle de ne pas se prononcer sur la candidature d’Abdoulaye Wade à l’élection présidentielle de 2012. Me Konaté, cette Cour a été créées concrètement en 2001 mais fonctionne depuis 2005, quel est son champ de compétence ?

Cette Cour qui est la Cour de justice de la CEDEAO est compétente et peut être saisie par toute personne physique ou morale, dès lors que cette personne se plaint d’un acte de la communauté qui lui fait grief. Ce qu’il faut également comprendre c’est que la Cour de justice de la CEDEAO rend des décisions qui sont contraignantes pour les Etats et que la non exécution des décisions de la Cour de justice est assortie de sanctions. Ces sanctions peuvent aller jusqu’à l’exclusion d’un Etat membre de la CEDEAO.

Mais cette saisine de la Cour par tout ressortissant d’un Etat membre, en cas notamment de la violation des Protocoles et traités de la CEDEAO date de 2005; avez-vous vraiment senti une évolution depuis ?

Ce qu’il faut savoir dans un premier temps, c’est que cette cour a été assez méconnue par les justiciables de la communauté CEDEAO. Par la suite, en 2005, il y a eu une évolution dans la mesure où un Protocole additif est intervenu et a donné la possibilité aux individus de saisir la Cour et a en même temps élargi le champ de compétence de cette Cour aux questions de droits de l’Homme. Il est vrai, et c’est pertinent, depuis 2005, cette Cour est saisie par beaucoup de ressortissants de la CEDEAO sur des questions diverses. Mais en gros, c’est beaucoup plus sur des saisines portant sur des violations des droits de l’Homme.
Ce qu’il faut savoir c’est que les Etats qui sont membres de la communauté de la CEDEAO disposent de justices, mais ces Etats ont des justices qui peinent encore à faire valoir l’indépendance des juges. Le pouvoir judiciaire est encore sous l’emprise du pouvoir exécutif et cela est dommage. C’est pour cette raison qu’il est important d’avoir recours à une justice telle que celle de la CEDEAO qui est compétente et qui peut être saisie par des personnes physiques justement pour remettre en cause les agissements des Etats en ce qui concerne la privation des droits.

C’est une particularité de cette Cour par rapport à la Cour pénale internationale, on peut la saisir même si une procédure est en cours au niveau des juridictions nationales. Elle n’est pas du tout obligée d’attendre les résultats de la justice nationale pour se prononcer.

C’est une évolution marquante. On ne peut plus arguer du fait que la justice nationale est saisie et que jusqu’à ce que cette justice rende une décision définitive, on ne peut plus saisir une autre Cour de justice. C’est une grande révolution. Et le deuxième point également, c’est que cette Cour a rendu un nombre de décisions relativement importantes à l’encontre des Etats.
On se rappelle cette décision importante qui a été rendue contre l’Etat du Sénégal dans le cadre de l’affaire Hissène Habré. Vous l’avez rappelé, j’ai été l’un des avocats en ce temps. Il y a cette autre décision de justice qui a été rendue contre l’Etat du Niger en ce qui concerne l’arrestation du président Tandja, qui n’ayant pas été poursuivi, sa détention a été considérée comme arbitraire. Il y a aussi cette situation d’esclavage au Niger qui a été considérée comme étant une violation des droits de la personne qui se plaignait au niveau de la Cour de justice de la CEDEAO.

Mais il y a plusieurs critiques sur cette Cour. Ce sont des critiques qu’on a formulées notamment après la décision Hissène Habré, ou l’affaire Mamadou Tandja ou même le fait de refuser de se prononcer sur la légalité de la candidature d’Abdoulaye Wade en 2012. On dit que cette Cour serait instrumentalisée, qu’elle serait victime de manœuvres politiques. Est-ce que vous pensez que c’est le cas ?

On n’est pas à l’abri, mais il faut quand même rappeler que les juges qui siègent au niveau de la Cour de justice de la CEDEAO ont encore des rattachements avec les Etats, parce que la plupart sont des magistrats qui ont siégé dans des juridictions nationales et par la suite, poursuivent leur carrière à ce niveau. Je pense qu’il faut peut-être réfléchir à des mécanismes nouveaux pour avoir des juges professionnels et compétents. Aujourd’hui, les décisions ne sont pas suffisamment appliquées ou suffisamment mises en œuvre. Les décisions qui sont rendues par la Cour de justice doivent être des décisions claires dans leurs motifs et dans leurs dispositifs de manière à ne laisser aucune place à aucune interprétation possible. La question est précise au moment de la saisine, la réponse doit être aussi claire au moment du prononcé de la décision.

Interview transcrite par Olivier A.
Liberte-togo.com
Source : RFI

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