Me Mamadou Ismaila KONATE

Le paradoxe de la médiation entreprise au Burkina Faso, par les Présidents Macky SALL et Yayi BONI, au nom de la CEDEAO en douze (12) mots imagés!

« Pour moi, le putsch est terminé, et on n’en parle plus ». C’est par ces mots que le Général Gilbert DIENDERE « a suicidé sa carrière de la même manière qu’elle avait été construite » par son mentor, Blaise COMPAORE[1].

1- Une démarche mal emmanchée

Plusieurs jours de concertation durant, à pas de course et à marche forcée, les Présidents Macky SALL du Sénégal et Boni YAYI du Bénin, les médiateurs désignés dans un premier temps par la CEDEAO ont rencontré les protagonistes et les principaux acteurs de la crise Burkinabé. Sur la base de ces contacts et des échanges qu’ils ont eus au Burkina, ils ont cru devoir proposer le texte d’un projet d’accord dont les principaux axes sont les suivants :

  • Réinstallation du président Kafando afin de poursuivre la transition politique ;
  • Vote d’une loi d’amnistie en faveur des putschistes, ce, avant le 30 septembre 2015 ;
  • Tenue des élections législative et présidentielle, au plus tard le 22 novembre 2015 ;
  • Validation de toutes les candidatures précédemment rejetées par décision du Conseil Constitutionnel burkinabé ;
  • Libération, sans condition, de toutes les personnes détenues en rapport avec les récents événements…
  • Le sort du RSP sera traité aux lendemains de la transition par le président qui sera en responsabilité.

Si l’accord et son contenu sont sujets à caution, la méthodologie qui l’a sous-tendu l’est au moins autant. Probablement au même titre que l’irruption du président Hollande

2- Une intrusion approximative manquant de tact

En effet, les contempteurs de cet accord lui font grief, entre autres, du rôle actif du président français qui déclarait que les militaires français basés au Burkina n’étaient pas concernés. Cette assertion ne l’a pas empêché, lors de sa visite d’Etat au Maroc, d’affirmer soutenir « entièrement le dialogue engagé par des chefs d’Etat africains pour revenir au processus de transition ».

Il s’y ajoute que les méthodes choisies par les mandataires de la CEDEAO jurent avec les règles de base de la gestion des conflits. La déclaration de François HOLLANDE, visiblement dans le secret des dieux, alors même que ce projet de texte n’avait pas encore été communiqué officiellement aux parties concernées, avant même que le peuple burkinabé – dans ses différentes composantes – n’en ait eu connaissance, est insupportable et sonne comme une rengaine déjà entendue sous d’autres cieux, dans des circonstances comparables. Le plus insupportable, sans doute, réside dans le fait que le Président HOLLANDE prévient, sur un ton empreint de menaces à peine voilées, que toute personne qui contrarierait la démarche proposée par les médiateurs, serait sanctionnée. Par qui d’ailleurs ?

La suite des évènements jette un éclairage nouveau sur l’attitude du chef de l’Etat français. L’objectif assumé de sa sortie hasardeuse, était manifestement, de rattraper les impairs, couvrir les bévues, et envoyer des messages subliminaux aux parties prenantes de la médiation de la CEDEAO.

Au-delà de cette intrusion, pour le moins malhabile et maladroite, les réserves concernent aussi bien la facilitation que les méthodes de concertation des négociateurs.

3- Une imposture d’Etat

Les médiateurs, dans le cadre de leurs bons offices, ont affirmé avoir rencontré il est vrai, outre le Président Michel KAFANDO, alors en résidence surveillée, mais aussi les acteurs politiques et de la société civile burkinabé. Ragaillardis par ces différentes rencontres et visites, les médiateurs de la CEDEAO ont, dans un premier temps, diffusé le texte d’un projet d’accord de règlement de la crise et, dans un second temps, convoqué une réunion extraordinaire des chefs d’Etats de la CEDEAO en Abuja (Nigéria) en vue de soumettre à leur appréciation le projet de texte d’accord.

Mais à la surprise générale, Le Président Michel KAFANDO, interrogé au sujet de ce projet d’accord, a catégoriquement nié toute implication voire participation dans son élaboration, n’hésitant pas à déclarer qu’il était « réservé »[2] quant à son contenu. Malgré les tentatives d’explication de texte et les dénégations du ministre sénégalais des affaires étrangères[3], l’attitude et le comportement des médiateurs, mais plus spécifiquement du Président Macky SYLLA sont apparus comme hautement « suspects » et leur parole sérieusement « malmenée » et teintée de « mensonge ». Les mauvais esprits sont allés jusqu’à rappeler le caractère « trouble » des relations personnelles qu’entretenait le Président Macky SALL avec le Président Blaise COMPAORE. En effet, il est notoire que le Président SALL est le premier Chef d’Etat de la sous-région, à se prononcer en faveur d’une énième candidature du « parrain présumé » du général félon, Gilbert DIENDERE. En son temps, le Président Macky SALL considérait Blaise COMPAORE comme le seul à même de contribuer « grandement à la stabilité de la sous-région ». Ne serait-ce qu’au titre de ce que le président sénégalais a exprimé publiquement son opinion, à savoir qu’il était « préférable de le laisser (Blaise COMPAORE) se représenter en 2015 », le missi dominici de la CEDEAO, dans sa mission, se savait incapable d’objectivité minimale vis-à-vis du peuple burkinabé, en opposition avec le RSP, le Général DIENDERE et son sponsor présumé Blaise COMPAORE.

C’est la raison pour laquelle, après la tentative de passage en force des médiateurs porteurs d’un projet d’accord mort-né, le maintien de la réunion extraordinaire constituera, sans aucun doute, la seconde faute des chefs d’Etats en charge de la question de la paix au Burkina.

Nonobstant la défiance des acteurs burkinabés à l’égard des médiateurs et en dépit des qualificatifs dont ils usent à l’endroit du projet d’accord de sortie de crise des présidents ouest-africains, la réunion extraordinaire se tiendra le 22 septembre 2015, en Abuja au Nigéria. Envers et contre tous ! Car, il faut rappeler que le contenu de l’accord est jugé à la fois « inacceptable » et « honteux ». A l’ordre du jour, un seul point : l’examen du « projet d’accord » de règlement de la crise burkinabé. Oui ! Celui-là même qui n’a jamais été discuté par les protagonistes. Proposé par les seuls médiateurs, d’ores et déjà repoussé par tous les acteurs y compris le CDP, parti de Blaise COMPAORE et partant, sans légitimité aucune, puisque non consensuel, cette réunion aura permis de révéler au grand jour les basses manœuvres politiques et de dévoiler les réelles aspirations : la restauration de l’ordre ancien par la remise en selle des candidats de l’ex-homme fort de Ouagadougou. Aucun égard ne sera réservé au peuple burkinabé qui, hébété mais pas tétanisé, aux cotés d’une société civile africaine, debout comme un seul homme, médusée et révoltée, se mobilisera pour inverser le rapport de force. Ce faisant, cette circonstance aura contribué à révéler la profondeur du fossé entre les dirigeants politiques de la communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest et leurs peuples. C’est assurément à ce changement de paradigme que nous devons l’issue qu’a connu ce coup de force. Ce qui n’est pas, du reste, sans poser la question de la légitimité de l’oligarchie actuelle et de l’acceptation des décisions à venir.

4- Le réveil du peuple et de son armée

afp.com/SIA KAMBOU

En diffusant leur communiqué, les chefs de corps ont décidé de se mobiliser et de faire route sur Ouagadougou, dans le seul but de désarmer le RSP sans effusion de sang[4]. Ce faisant, ils restaurent l’équilibre sur ce qu’il est convenu d’appeler le front burkinabé. Les hommes du RSP et le Général Gilbert DIENDERE ont maintenant en face d’eux, aux côtés du peuple qui s’est déjà mobilisé depuis les premières heures du putsch, une armée nationale qui a fini par prendre toute la mesure de ses responsabilités. Dans ce contexte, le pire est à craindre. Alors que le basculement est imminent, cette occurrence n’a été évitée qu’au terme d’une négociation qui a abouti à un accord obtenu, non pas par la CEDEAO, irrémédiablement décrédibilisée, mais par le Mogho Naba[5], roi des Mossis. La responsabilité des membres du RSP et du Général Gilbert DIENDERE, qui le reconnaît expressément[6], reste engagée. Ils ne seront pas seuls d’ailleurs puisque bien d’autres personnes ont, à la suite du coup d’Etat exprimé des opinions et déclarations des plus ambiguës et en tous les cas, alambiquées, laissant apparaitre une parfaite chaine de « collusion » avec les putschistes. Reste à déterminer le rôle exact du Président Blaise COMPAORE dans la perpétration de ce coup d’Etat. L’attitude silencieuse observée par ce dernier n’est pas loin d’être coupable selon l’opposant Marc Christian KABORE[7]. Cette attitude doit être appréciée d’une part, par rapport à la position officiellement exprimée par la République de Côte d’Ivoire qui a indiqué que les évènements en lien avec le coup d’Etat militaire au Burkina n’était qu’« une affaire intérieure »[8], d’autre part, par rapport au lien plus qu’affectif et viscéral que Blaise COMPAORE entretient – depuis toujours – avec l’auteur principal du coup d’Etat. Les complicités sont évidentes dans cette affaire et la collusion manifeste entre gens ayant la même communauté d’intérêts et de destins.

L’incursion de l’armée nationale, loyale et régulière a redistribué les cartes et fait perdre la main aux médiateurs de la CEDEAO dont le crédit a été considérablement entamé. C’est cette opération qui est arrivée à bout de l’intransigeance d’hommes armés, en rupture avec leurs engagements et serments militaires.

L’autre paramètre qui aura fait basculer l’un des deux plateaux de la balance en faveur du rétablissement de l’ordre constitutionnel se nomme « société civile ». Celle burkinabé s’est illustrée d’une manière spéciale, par son courage et son patriotisme, toutes vertus qui ne l’ont jamais cédé devant le sens des responsabilités. Elle n’a d’ailleurs cessé par la suite, lorsque la tension a baissé, d’appeler au calme et à la sérénité, en affirmant son opposition à tous règlements de compte susceptibles de mener à une guerre civile. Sans doute, cette société civile sera demain, la meilleure protectrice en termes de caution de l’intégrité physique du Général DIENDERE, de ses ouailles et de leurs complices. Le Procureur général a commencé à sévir. En tout état de cause, les actions qui seront entreprises dans le cadre de ces dossiers qui vont s’ouvrir au plan judiciaire, doivent avoir une vertu et une seule : la pédagogie ! Les suites de ces dossiers doivent aller au delà de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso et servir de repère dans tout le continent.

Dans tous les cas, le compte à rebours avait commencé !

5- Une médiation partiale et ignorante des vœux des parties prenantes et du CPS/UA

Le général putschiste burkinabè Gilbert Diendéré (D) et le président de la Cédéao, Macky Sall (G),. | AFP PHOTO / AHMED AUOBA

Mais alors, on ne peut s’empêcher de s’interroger quant à la démarche des médiateurs de rencontrer tous les protagonistes pour ne prendre en compte que les seules vues du RSP et du putschiste en chef, le Général DIENDERE.

Dès avant son arrivée à Ouagadougou, le Président Macky SALL, en sa qualité de Président en exercice de la CEDEAO n’a pas manqué d’exprimer une position de principe assez forte et qui était conforme à celle d’ailleurs exprimée par le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine. En acceptant d’être accueilli par le Général DIENDERE à son arrivée à l’aéroport de Ouagadougou au bas de la passerelle, comme son homologue, le Président Macky SALL, sans s’en rendre compte, venait d’adouber le coup d’Etat militaire. Or, le protocole exige, en de pareilles circonstances, de se faire accueillir par le maire de la ville, voire le préfet. Mais il est vrai qu’en Afrique, la forme des choses nous importe souvent peu et l’on se refuse de percevoir les choses dans leur quintessence, dans leur profondeur, tenant compte des incidences éventuelle, ce qui n’est pas sans dommage par la suite.

L’option des médiateurs d’une part, les résultats auxquels ils ont abouti d’autre part étaient bien aux antipodes de l’opinion qui avait été exprimée auparavant par le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine (CPS) de l’Union Africaine (UA). Dès les premières heures de la crise, cet organe panafricain n’a pas hésité un seul instant, à déclencher les dispositions de la loi pour rentrer en voie de condamnation à l’encontre des auteurs du renversement des autorités de transition du Burkina Faso. Les membres du Régiment de Sécurité Présidentielle, avec à leur tête le Général Gilbert DIENDERE, ont été dès lors ciblés. Le CPS/UA a qualifié, sans ambages, l’acte perpétré de « coup d’Etat »[9]. Le CPS ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Il a également décidé de la suspension du Burkina Faso, en même temps qu’il a enjoint aux auteurs du « coup d’Etat », de remettre le pouvoir d’Etat à la transition sous peine de sanctions directes contre eux. Il leur a fixé pour ce faire, un délai de quatre-vingt-seize (96) heures à compter de sa décision[10]. Vu la nature et l’ampleur des sanctions envisagées, graves et ciblées, les auteurs du « coup d’Etat » étaient désormais passibles de poursuites, y compris celles qui sont susceptibles de les conduire par-devant les instances judiciaires internationales telles que la Cour Pénale Internationale (CPI). Ils ont été assimilés à des terroristes[11], accusation suprême !

Ces mesures devraient faire jurisprudence afin de prémunir le continent contre des changements de régime qui ne seraient pas basés sur les règles démocratiques

6- La nécessité du renforcement des sanctions des changements anticonstitutionnels de gouvernement

Depuis 1952, il y a eu en Afrique plus de deux cents (200) coups d’Etat ayant renversé des régimes constitutionnels en place[12], Sept (07) pour le seul Burkina Faso. C’est la raison pour laquelle cette manière de s’accaparer le pouvoir constitue une violation de la loi, en tant que telle, interdite par la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance[13]. De façon générale, le CPS de l’UA devrait réfléchir d’avantage aux moyens et dispositifs pertinents pour sanctionner ces types de comportements, en les « criminalisant » davantage. Ces renversements violents de régimes légaux surviennent plus souvent du fait des hommes en armes ou des corps habillés. Ceci dénote de la grande « contagion politique » des armées africaines. Au lieu de se dédier à une mission de défense du territoire et de préservation de la sécurité nationale, l’armée nationale se trouve encore et le plus souvent fortement « caporalisée ». A sa tête généralement des chefs militaires plus intéressés par des postes juteux de « général-colonel fonctionnaire-civil », ils refusent les postes de commandement dans des camps, voire dans les casernes militaires. De ce fait, ils évitent les postes qui les exposent sur des théâtres d’opérations militaires et de défense, de plus en plus fréquents, dans le contexte actuel de guerre contre le terrorisme, spécialement en Afrique au sud du Sahara. Les changements anticonstitutionnels devraient être assimilés à un « crime contre l’humanité » de sorte à les rendre imprescriptibles et susceptibles de poursuites par-devant les instances judiciaires internationales compétentes. L’objectif recherché étant de dissuader et/ou d’anéantir toutes éventuelles tentatives qui viendraient à freiner le difficile processus de démocratisation amorcé dans le continent et freineraient ainsi le recul constaté des maigres acquis en matière d’édification d’Etat de droit.

7- Ce qui est arrivé au Burkina Faso est un changement anticonstitutionnel.

Six jours durant, les membres du désormais sinistre et funeste RSP ayant à leur tête le non moins lugubre Général Gilbert DIENDERE, ont opéré de nombreuses arrestations arbitraires et de la façon la plus illégale. Des individus arrêtés ont été par la suite agressés, blessés, délibérément et certains d’entre eux tués[14], par balles, dans des circonstances à élucider. Tous ces gestes ne sont pas le fait du hasard. Ils découlent d’actes réfléchis et muris par des personnes tapies dans l’ombre, mais dont la responsabilité est aujourd’hui indiscutable, en raison de la communauté d’intérêts qui se constate entre eux et des convergences de vues, visibles pour mettre en œuvre un plan macabre et sordide, visant essentiellement et exclusivement à renverser un régime légal et légitime et à restaurer l’ordre ancien.

Lorsque l’on est vice président du parti renversé par l’insurrection populaire d’octobre 2014 et que l’on déclare qu’« Un coup d’Etat n’est jamais souhaitable » mais que celui perpétré par le Général DIENDERE « était nécessaire »[15](sic) ; Que l’on entonne ensuite, pour donner un échos si prompt et si favorable à cette déclaration, même plus subtilement et sans doute plus finement que les putschistes devraient « En tout état de cause » pour ce qui est de « la hiérarchie militaire et en particulier le Président du CND », « clairement expliciter leur intention et leur agenda de restaurer dans les meilleures conditions un ordre républicain qui consacre le retour à une vie constitutionnelle et institutionnelle normale par la tenue d’élections libres crédibles et apaisées »[16] (sic), on n’est pas loi d’être « caution » du coup de force et, à ce titre, pas exempts de reproches. L’appréciation des actes, faits et opinions  des uns et des autres dans ce contexte devrait se faire sous le prisme du droit, de la loi et de la justice. C’est en cela qu’il faut saluer les vertus de l’Etat de droit.

8- Des défenseurs de l’illégalité qui méprisent la décision du conseil constitutionnel

Il se trouve encore des personnes ici et là, pour justifier ces gestes inhumains d’une autre époque qui ont été accomplis par les auteurs du coup d’Etat. Les arguments avancés ressemblent plus à un ergotage qui viole le bon sens et la conscience humaine. Aux yeux de ces personnes, le coup d’Etat perpétré par le Général DIENDERE et ses hommes du RSP[17] était à la fois « inévitable » et « prévisible ». L’exclusion de personnalités politiques Burkinabé de la course pour la présidence du Faso en est la cause directe selon elles. La plupart des personnes qui avancent cette argutie, travestissent délibérément la réalité sur ce plan. Elles mettent au compte de la « transition » la décision d’exclusion. Or, il n’en est rien. Cette décision émane du Conseil constitutionnel du Burkina.

Les décisions de cette instance sont rendues en premier et dernier ressort et ne sont susceptibles d’aucun recours. Bien évidemment, les motifs tenant à l’invalidation de la candidature de ces personnalités peuvent être discutés et sont à la limite discutables à bien des égards. Mais s’agissant d’une décision régulière et souveraine, qui a été de surcroit rendue par la plus haute instance judiciaire Burkinabé en matière électorale, la discussion ne devrait pas s’enliser au point de nier l’évidence des effets juridiques qui découlent de la décision.

Le motif ayant permis de disqualifier ces personnalités du scrutin présidentiel tient au reproche qui leur est fait d’avoir participé activement, aux côtés du CDP[18], de ses alliés et du Président Blaise COMPAORE à la tentative de réviser les dispositions de l’article 37 de la constitution Burkinabé. Par leurs actions et leurs implications qu’elles ne contestent d’ailleurs guère (comme si elles avaient pris conscience du caractère « illégal »[19] de ses agissements), ces personnalités politiques ont tenté d’annihiler les règles de l’alternance au pouvoir. Pour rappel, Blaise COMPAORE en était à son quatrième mandat constitutionnel[20] effectif. A travers la tentative qui lui a été fatale, il était en passe de se prolonger au pouvoir sans discontinuer pour un trentenaire d’années de présence inégalée à la tête de l’Etat du Burkina Faso.

L’invalidation de certaines candidatures trouve son fondement dans les dispositions du code électoral Burkinabé modifiées par le CNT[21]. C’est ce code qui a été retoqué par une décision de la Cour de Justice de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CJ-CEDEAO)[22]. Par des attendus clairement exprimés, cette décision a indiqué que « le Code électoral du Burkina Faso, tel que modifié par la loi n° 005-2015/CNT du 07 avril 2015 » violait le « droit de libre participation aux élections ». Elle a en conséquence ordonné « à l’Etat du Burkina de lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutifs à cette modification». La suite logique aurait commandée que les parlementaires Burkinabé reprennent le texte retoqué pour, le cas échéant, le corriger, le préciser davantage voire le modifier.

Nonobstant cet état de fait, il est clair que les juges communautaires n’ont jamais dénié au Burkina « le droit de restreindre l’accès au suffrage ». Simplement, ils ont précisé que les restrictions en matière d’accès au suffrage n’étaient admissibles que « dans des conjonctures particulières ». C’est dans ces seules situations qu’il pourrait être reconnu à « la législation d’un pays » la latitude d’instituer « des impossibilités d’accéder à des fonctions électives à l’encontre de certains citoyens ou de certaines organisations ». La « restriction de ce droit d’accès à des charges publiques doit alors être justifiée, notamment, par la commission d’infractions particulièrement graves ».

Dès lors, rien n’exclut vraiment qu’au nombre de ces « infractions graves » l’on y décompte la violation des règles de l’alternance au pouvoir. Or, la démarche entreprise par Blaise COMPAORE et ses soutiens de modifier les dispositions de l’article 37 de la Constitution Burkinabé constitue un changement anticonstitutionnel[23]. Gageons que des procédures seront incessamment ouvertes en bonne et due forme sur les bases indiquées ci-dessus.

Comme l’a souligné une certaine doctrine, la Cour de justice de la CEDEAO reproche au texte burkinabé le « caractère ambigu des critères de l’exclusion » retenus et « l’application expéditive et massive » de ces critères, ce qui est « contraires aux textes ».

Bien évidemment, le débat sur la modification des dispositions du code électoral Burkinabé est loin d’être clos. Entre le rappel du droit « pur et dur » et des limites strictes qui sont fixées par le juge communautaire, « le peuple » burkinabé rappelle sa volonté inébranlable et son aspiration profonde de « filtrer » les candidatures au nom d’une certaine conception de la « sanction » en politique qu’il entend prendre à l’encontre d’acteurs politiques en « errance ».

9- La confusion de la décision de la Cour de justice de la CEDEAO

La juridiction communautaire, en ordonnant à « l’Etat du Burkina de lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutifs à cette modification », méconnaissait par ailleurs les dispositions pertinentes du Protocole A/SPA/12/01 sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement, de maintien de la paix et de la sécurité. L’article 2 de ce texte précise qu’ « Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques »[24]. En tout état de cause, le juge constitutionnel burkinabé ne s’est prononcé que sur la base du droit positif alors en vigueur au Burkina Faso. Le législateur n’ayant pu disposer de temps suffisant, conformément à la prescription légale, pour corriger son texte retoqué.

Sur un tout autre plan, la réponse donnée par la Cour tenant au caractère « prématuré » de la demande des requérants est loin d’être satisfaisante. En effet, en soutenant « qu’elle peut valablement se préoccuper de violations non encore réalisées, mais très imminentes », la cour donne l’impression qu’une telle possibilité a déjà été mise en œuvre par sa jurisprudence[25]. Il n’est pas certain que les deux décisions indiquées par la cour soient vraiment identiques. En premier, les violations qui ont été mises en cause dans le dossier Hissein HABRE[26] découlaient de la prise d’instruments juridiques, en violation de lois nationales, spécifiquement et uniquement dans le dessein de traduire en jugement un individu, au mépris des décisions judiciaires favorables dont il avait bénéficié par-devant les juridictions sénégalaises. La prise d’instruments juridiques n’avait d’autre but que de mépriser l’évidence de ces décisions judiciaires qui avaient acquis l’autorité de la chose jugé. Face à la demande individuelle du Président HABRE, celle du CDP et de ses alliés était collective sur un fondement lié à l’exercice de « droits politiques ». Dans une hypothèse comme celle qui a donné lieu à saisine de la Cour de justice de la CEDEAO, le préjudice doit être plus que apparent, prématuré ou virtuel. Il doit être réel. En statuant comme elle l’a fait, dans le dossier CDP et autres, la CJ-CEDEAO est allée au delà des limites imparties, en ne faisant pas observé préalablement l’existence du préjudice réel, à nos yeux inexistant.

10- Un débat politique « partisan » et profondément biaisé

Laurent Bigot. Ovidio de Souza/RFI

A côté de ce débat juridique inépuisé et de portée hautement politique, des analystes se sont aussi exprimés dont Laurent BIGOT et Maurice L’ONGLET.

Ces deux analystes « ont déclaré en substance à la presse que la transition burkinabè s’est mise dans la situation de celui qui trop embrasse mal étreint avec de multiples chantiers de réformes – justice, politique, militaire – pas toujours bien conduits et, que l’exclusion des partisans de Blaise Compaoré des prochaines consultations électorales, une conséquence du nouveau code électoral, est la cause directe du coup d’Etat finalement avorté »[27].

Laurent BIGOT a appelé au respect de la démocratie et à l’observation du caractère inclusif de la participation à l’élection. Il affirme que  «… tout le monde » devrait « se présenter dés lors qu’il n’a pas été condamné par une juridiction ». Pour appuyer son assertion, il cite International Crisis Group (ICG) pour qui « le processus a tout intérêt à être inclusif pour assurer toute la légitimité du prochain président au Burkina ».

Pour Monsieur BIGOT « quand on est un démocrate, on fait confiance au peuple. C’est le peuple qui va décider ». Il termine son propos en fustigeant l’attitude, à ses yeux, silencieuse de l’Union Européenne et de la France par rapport à la « loi d’exclusion » qui « sape le processus démocratique au Burkina ». En prédicateur habituel de « malheur », il perçoit « les germes de prochains troubles si la transition ne revient pas sur cette loi-là »[28]. Ces arguments ont été très vite repris par ceux dont le cœur bat encore pour Blaise COMPAORE et le CDP.

Il est vrai que Monsieur BIGOT ne prend pas plus de risque dans son analyse qu’il n’en faut, en allant par exemple plus en profondeur pour analyser sous d’autres angles que politiques cette crise burkinabé. Ses appréciations, très personnelles qui ne reposent d’ailleurs sur aucun postulat objectif originel ne donnent pas toujours l’occasion de les discuter tellement elles sont imbibées de parti-pris.

11- De l’exclusion en politique

L’exclusion en politique est aussi vieille que la seconde guerre mondiale. Rappelons-nous le sort de pays comme le Japon, l’Allemagne et l’Italie au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’Allemagne a été « balkanisée ». Son territoire a été divisé en quatre parties, placé sous tutelle, ce, en application des décisions prises par les Alliés au sortir de la conférence de Potsdam. Ces quatre « Balkans » ont été soumis à la surveillance des quatre puissances occupantes[29]. Dans la partie occupée par les Américains et leurs alliés dans cette Allemagne d’après seconde guerre mondiale, il a été établi « des listes de personnalités non compromises avec le nazisme ». Toutes les personnes qui ont été considérées et identifiées comme ayant eu des liens étroits avec le nazisme ou ont été des acteurs à l’origine de la seconde guerre mondiale, ont été exclues de toute participation politique et citoyenne. A la conférence de Yalta (4-11 février 1945), l’objectif poursuivi par les alliés visaient à « anéantir le militarisme et le nazisme allemands et de faire en sorte que lAllemagne ne puisse plus jamais troubler la paix mondiale »[30] par son attitude guerrière, brutale et expansionniste. Le Japon, l’Allemagne et l’Italie ont été exclus de la société des nations (ONU) et interdits de constituer des armées dignes de ce nom, de se doter de l’arme nucléaire et d’être membres du Conseil de sécurité et de disposer du droit de veto. Pour ce qui est de l’Italie, l’accès à l’Organisation des Nations Unies lui a été refusé, même lorsque ce pays a demandé à être simple observateur. Le veto russe l’en a empêché[31]. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, « l’Italie était maintenue dans la condition de pays vaincu, rétrogradée dans une position de second rang, étouffée par la hiérarchie instaurée par la guerre entre les pays »[32].

Les allusions systématiques à la seconde guerre mondiale et au nazisme dans le présent « billet » ne s’expliquent que par le seul besoin de mettre en avant au moyen de faits historiques réels, récents la régularité d’un acte politique décisionnel. C’est aussi pour justifier la cohérence des mesures d’«exclusion » comme étant une sanction politique d’éventuelles incartades et déviances d’acteurs politiques. Très généralement en Afrique, les « vainqueurs » en politique s’acharnent sur leurs adversaires, comme des « proies » faciles à abattre au nom d’une « légitimité » somme toute fragile et précaire. Les comptes des adversaires politiques « vaincus » étaient réglés au moyen d’une vendetta populaire ou d’une justice instrumentalisée dressée à leur encontre. Les « perdants » du pouvoir politique deviennent très vite des victimes expiatoires. Une telle pratique doit cesser en Afrique. Elle doit laisser la place à la sanction politique sur la base du droit et de la loi.

12- L’après coup d’Etat et le sort du Burkina Faso et des « violeurs de la loi »

Aucune compassion ne devrait amener à passer l’éponge sur le comportement des personnes qui seraient reconnues coupables d’actes assimilables à un changement anticonstitutionnel. Les actes qui ont été perpétrés à Ouagadougou du 16 au 23 septembre 2015 sont d’une extrême gravité. La CEDEAO et ses médiateurs devraient entendre les aspirations profondes du peuple burkinabé avant toute autre appréciation qui serait incongrue et inadéquate. Envisager de voter une loi d’amnistie pour des crimes abominables équivaut à la promotion de l’impunité. A une période où l’Afrique et le Président Macky SALL s’acharnent sur le Président Hissein HABRE pour le déférer par-devant une juridiction sui generis, il serait inconvenant que la demande insistante d’amnistie n’émane que du seul Président de la conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO[33]. Tout comme il est incongru d’envisager de violer la décision du Conseil constitutionnel du Burkina pour ce qui est de l’invalidation des candidatures de certaines personnalités du CDP et de ses alliés. Sur ce plan, aucune appréciation politique sur fond de mise en œuvre du principe d’équité ne devrait anéantir ou occulter la faute politique. Elle est évidente. C’est au nom de cette faute politique que le Président Blaise COMPAORE se trouve, sans doute contre son gré, exilé en Côte d’Ivoire. C’est également pour des motivations évidentes de politique intérieure, qu’il ne peut pas revenir de si tôt au Burkina. Il est d’ailleurs regrettable que cet exil doré ne soit pas allé plus loin, au-delà de la Côte d’Ivoire et de la sous région, voire du contient. La présence de Blaise COMPARE non loin du Burkina n’est pas toujours sans incidences quant aux influences sur les questions de politique intérieure. Or, son pays a besoin de plus de calme et de sérénité aujourd’hui pour maintenir la paix et la sérénité. Dans un contexte d’ordre public troublé, l’accalmie est nécessaire à la poursuite d’une transition politique en vue d’installer les institutions démocratiques nouvelles. Ce n’est que dans un tel contexte qu’il sera possible de poursuivre le processus entamé. C’est dans le souci de bâtir l’unité et la cohésion nationales dans un esprit de patriotisme affirmé que les auteurs du coup d’Etat au Burkina et leurs complices devraient faire sienne cette citation : « Une faute qui se paie par une souffrance pèse moins à la conscience délicate que celle qui paraît impunie »[34].

Mamadou Ismaila KONATE

Avocat à la Cour

Président de Génération Engagée

generat

[1] http://www.lefaso.net/spip.php?article67063

[2] http://www.rfi.fr/afrique/20150921-burkina-faso-interview-michel-kafando-coup-etat

[3] http://fr.africatime.com/burkina_faso/articles/le-chef-de-la-diplomatie-senegalaise-surpris-de-la-reaction-de-m-kafando

[4] http://jdd.moutsinga.over-blog.com/2015/09/communique-des-chefs-de-corps-des-forces-armees-nationales-du-burkina-faso.html

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Moro_Naba

[6] http://www.zoodomail.com/spip.php?article11178

[7] http://www.rfi.fr/emission/20150924-roch-marc-christian-kabore-inopportun-amnistie-burkina-mpp-loi-electorale

[8] http://fr.africatime.com/burkina_faso/articles/la-cote-divoire-reste-volontairement-prudente-sur-la-situation-au-burkina-porte-parole-du

[9] http://www.peaceau.org/uploads/cps-544-comm-burkina-faso-18-9-2015.pdf

[10] 18 septembre 2015

[11] http://www.rfi.fr/afrique/20150918-burkina-faso-union-africaine-ketende-putsch-coup-etat-diendere-terroristes-junte-tr

[12] http://www.leparisien.fr/espace-premium/actu/interactif-afrique-plus-de-200-coups-d-etat-depuis-les-annees-1950-18-09-2015-5104321.php

[13] Article 23

[14] On en dénombre au moins une dizaine selon les informations hospitalières

[15] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/09/21/un-coup-d-etat-n-est-jamais-souhaitable-mais-au-burkina-c-etait-necessaire_4765945_3212.html

[16] https://www.facebook.com/profile.php?id=100008644021407&fref=ts

[17] Régiment de Sécurité Présidentielle, corps d’élite dédié en son temps à la protection rapprochée du Président Blaise COMPAORE

[18] Congrès pour la Démocratie et le Progrès, parti du Président Blaise COMPAORE

[19] Article 23 de la Charte Africaine de la Démocratie, des Election et de la Gouvernance : qui assimile « tout amendement ou toute révision des constitutions ou des instruments juridiques qui portent atteinte au principe de l’alternance démocratique » à un changement anticonstitutionnel de gouvernement, passible de sanctions.

[20] https://fr.wikipedia.org/wiki/Blaise Compaoré

[21] Conseil National de la Transition faisant office de parlement de transition

[22] http://www.lefaso.net/spip.php?article65825

[23] Article 2 de la Charte africaine de la démocratie, de la bonne gouvernance et des élections

[24] http://www.oecd.org/fr/csao/publications/39466688.pdf

[25] Voir décision Hissein HABRE/Etat du Sénégal

[26]  J’ai été avocat ayant déféré l’Etat du Sénégal par-devant la Cour de Justice de la CEDEAO

[27] http://www.lefaso.net/spip.php?article67063

[28] http://www.rfi.fr/emission/20150715-laurent-bigot-burkina-peuple-decider-cedeao-compaore-gbagbo-cote-ivoire

[29] Https://fr.wikipedia.org/wiki/Bilan_de_la_Seconde_Guerre_mondiale

[30]https://fr.wikipedia.org/wiki/Occupation_de_l%27Allemagne_après_la_Seconde_Guerre_mondiale

[31]http://www.europeanlegalcultures.eu/fileadmin/site_files/Boursiers/Valentina_Vardabasso/Communication_Vardabasso.pdf

[32] Idem

[33] Selon le Général DIENDERE «L’amnistie nous a été proposée par la Cedeao, nous l’avons accueillie favorablement » – See more at : http://fr.africatime.com/burkina_faso/articles/promesses-damnistier-les-putschistes-du-rsp-revelations-du-general-gilbert-diendere#sthash.PbT0Ok19.dpuf

[34] Citation de Henri-Frédéric Amiel ; Journal intime, le 17 novembre 1849. Read more at http://www.mon-poeme.fr/citations-faute/#E3HUdXgMOtjdTV7j.99

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