Me Mamadou Ismaila KONATE

VADE MECUM DU CONTROLE CITOYEN AU MALI

Les relations entre les pays africains et ceux du bloc de l’Ouest, dans le contexte de la Guerre froide, étaient fondées « sur la préservation des régimes anti-communistes et la sécurisation des approvisionnements » sans que jamais la dimension relative aux « droits de l’homme », à la « démocratie » et à la préservation des libertés individuelles ne soit réellement prise en compte. Le milieu de l’année 1990 a été marqué par la tenue en France du 16ème sommet de la Conférence des Chefs d’États d’Afrique et de France. Trente-sept pays y étaient invités. Au cours de cette conférence, le Président français, François Mitterrand, a invité les pays d’Afrique à lancer incessamment un processus de démocratisation, sous peine d’être privés des soutiens nécessaires à leur développement.

Le Mali y était représenté.

Depuis cette conférence, des processus de libéralisation de la parole citoyenne ont permis l’installation dans de nombreux pays, dont le Mali, de cycles de « conférences nationales souveraines ». Le Bénin a donné le coup d’envoi en février 1990. Le paradoxe dans ce pays est que la Conférence nationale a été initiée par le président autoritaire Mathieu Kérékou lui-même.

Mathieu Kérékou a accepté de mettre en oeuvre les conclusions de la conférence nationale. La loi fondamentale en vigueur a été abrogée dans ce pays. Un régime de transition démocratique a été instauré. Une assemblée constituante a été convoquée. Le Président Mathieu Kérékou lui-même n’a pas hésité à déclarer dans son discours de clôture des travaux que « le renouveau démocratique qui vient d’être consacré au niveau de la Conférence nationale ouvre désormais la voie d’une nouvelle légitimité » au Bénin.

L’idée de conférence nationale souveraine s’est ensuite propagée dans de nombreux États en Afrique. Elle a abouti au renversement des régimes existants (dont celui du Mali, en place vingt-trois ans durant) et l’adoption de nouvelles constitutions. Les nouvelles dispositions constitutionnelles renouvellent les institutions, introduisent le multipartisme, prônent l’ouverture démocratique et le libéralisme politique. Elles garantissent de nouveaux droits fondamentaux et de nouvelles libertés publiques aux citoyens.

Près de trente ans après, le bilan démocratique est loin d’être reluisant en Afrique. Il est particulièrement défaillant au Mali en matière démocratique et électorale, notamment au regard de la participation citoyenne aux différents scrutins.

Jacques Chevrier, décrivant en 1975 déjà « l’échec des systèmes politiques africains » affirmait que « le droit de suffrage, par lequel devrait normalement s’exercer la souveraineté populaire » ne permet guère aux citoyens de se faire entendre. Ce constat est encore plus criard malgré la libération des systèmes politiques et l’ouverture démocratique intervenues depuis les conférences nationales souveraines. Dans le contexte politique africain aujourd’hui, « les élections ne sont qu’un moyen de légitimation formelle d’un pouvoir conquis et conservé » au moyen de la « violence » voire de la fraude. Les scrutins ne sont en définitive ouverts qu’à « un nombre limité de privilégiés recrutés dans les rangs de ceux qui appartiennent à la classe politique, adhèrent au parti et possèdent à la fois une clientèle et une influence importante » dans la sphère et au plan politique, mais aussi dans la société des « sachants » et des bien « introduits » du système élargi à la famille.

Les observateurs soulignent que les résultats des votes en Afrique « seraient la manifestation massive de l’adhésion populaire à l’égard d’un parti ou d’un homme ». Selon l’auteur précité, ces résultats « s’expliquent surtout par l’action conjuguée de la propagande et de la fraude électorales associées aux pressions plus ou moins occultes du pouvoir, promesses pour le citoyen, pris individuellement, d’exprimer sa volonté, mais plutôt une occasion pour les dirigeants africains de démontrer à la face du monde (et plus particulièrement aux pays fournisseurs d’aide) l’excellence de leur politique et la cohésion de leurs peuples ».

En démocratie, il est vrai que « voter est un droit » mais c’est aussi « un devoir civique ». Il est aussi l’expression d’un choix, d’une idée.

Malgré les efforts et les sacrifices fournis au Mali dans la quête démocratique, on assiste à un phénomène croissant de reflux et de non-participation citoyenne aux différents scrutins. Les taux d’abstention atteignent et dépassent très souvent les 50 %, toutes
élections confondues.

Le nombre sans cesse croissant de personnes qui s’abstiennent à chacune des différentes élections est-il sans incidence réelle quant à la légitimité des élus et de leur pouvoir ?

De manière générale, l’abstention est la réponse à un problème de société. Cela a aussi une influence considérable sur la légitimité d’un pouvoir, qui s’en trouve de plus en plus contesté. Dès lors, il n’est pas exclu qu’à terme, l’abstention en vienne à remettre en cause la pertinence même du système démocratique et électoral.

Ce système électoral ne stipule-t-il pas que le parti politique ou le candidat qui obtient la majorité des votes sera déclaré élu sans aucune référence au niveau global de participation ? Dans ces conditions, les élections sont valables même lorsque le niveau de participation concerne seulement 5 % de la population en droit de voter.

Dans un tel contexte dominé par une participation citoyenne au suffrage à la baisse, il est question de trouver les moyens de la favoriser en accroissant le regard et la vigilance quant à la gestion des affaires publiques, le maniement des deniers et des fonds publics, l’exercice de toutes les activités professionnelles dont l’impact sur le citoyen n’est pas sans incidence sur sa santé, son hygiène de vie, son alimentation, son intégrité physique, morale et mentale, sa sécurité et celle de son environnement.

Imaginons des situations comme celles-ci :

un médecin agissant hors norme ; un entrepreneur de bâtiments non regardant des règles de construction ; un maire qui fait à sa tête et décide en lieu et place de ses administrés ; un restaurateur utilisant
des produits avariés dans sa cuisine ; un constructeur de routes ne respectant pas les normes de construction ; un journaliste diffusant des fausses informations ; un pilote à bord d’un avion alors qu’il n’est pas à jour de ses heures de vol ; un dentiste proposant des implants en argile ; des juges prenant fait et cause pour une partie dans un procès ; des officiers d’état civil établissant de faux actes de naissance ou de mariage ; des enseignants se faisant rémunérer directement par des parents d’élèves contre de bons résultats pour leurs enfants ; un policier se faisant rémunérer pour le prêt de son arme de service ; un expert-comptable certifiant des comptes fictifs ; un notaire établissant des actes pour des faits inexistants ; un médecin établissant un faux certificat médical…

Quelle est la marge de manoeuvre de citoyens face à des comportements anormaux de dirigeants politiques et d’acteurs publics et contre lesquels aucune action justice ne sévit.

Au Nigeria par exemple, un groupe de citoyens engagés s’est constitué et a décidé de réagir contre ces anomalies. Ces citoyens ont décidé de contrôler les projets du gouvernement et de l’ensemble des collectivités publiques dans lesquels des actions entreprises et/ou envisagées sont inachevées, non abouties ou mal abouties.

Ce groupe de citoyens s’est particulièrement focalisé sur la construction d’infrastructures, la réalisation d’ouvrages publics, la conduite de travaux ayant un impact sur l’intérêt général, la réalisation de projets de développement. Le fondement de son intervention se justifie par l’utilisation de fonds publics. Une manière pour ce groupe de développer un véritable contrôle citoyen sur les actions des
pouvoirs publics, d’accroître l’instinct démocratique, la participation à la gestion des affaires publiques et à la vie de la cité.

Ces citoyens interviennent sur le terrain pour prendre des photos et corroborer les malfaçons sur les ouvrages publics, surveillent les infrastructures et rendent des comptes à leurs membres. Ils suivent et évaluent les projets publics financés par l’argent du contribuable nigérian.

L’un des membres de ce groupe de citoyens nigérians s’est intéressé un jour à la construction des routes dans sa région. Il en conclut ceci : « J’observe, en particulier, la manière dont l’écoulement d’eau se fait…
C’est comme si cela avait été fait par des amateurs… Elles ne sont pas bien construites et cela empêche l’eau d’être canalisée », déclare-t-il.

Les réseaux sociaux doivent servir à promouvoir et développer la démocratie en même temps qu’ils doivent servir de vecteur de communication et d’échanges.

Les membres de ce groupe, nommé « Tracka », opèrent principalement sur Twitter.

Ils se servent de la plateforme pour aller au contact direct des citoyens.

Le but est de relayer au maximum les images, les sons, et les vidéos des projets inachevés. Une manière, selon « Tracka », d’éduquer les citoyens à la démocratie en leur faisant davantage prendre conscience que le contrôle citoyen est le meilleur moyen pour s’assurer de la bonne fin des actions publiques entreprises pour l’intérêt général.

Dans le cas du Mali, « Tracka » peut être reproduite à l’identique.

Il faut imaginer des personnes qui sont décidées à mettre en cause des personnes publiques à l’occasion de la réalisation d’un projet ou lors de l’exécution d’une mission de service public ou d’intérêt général.

Il faut envisager d’instituer un « tribunal citoyen » qui sera administré par un « comité de suivi et d’orientation des cas » et dont des personnes seront désignées « rapporteur d’affaires ». le tribunal citoyen assure des audiences publiques.

Le contrôle citoyen doit aboutir à une mise en accusation formelle pardevant le « tribunal citoyen » qui sera chargé de connaître l’affaire. Ce tribunal citoyen est administré par un « comité de suivi et d’orientation des cas ». C’est ce comité qui reçoit les mises en cause et décide des suites à y donner.

La mise en accusation n’est transmise au tribunal qu’à la demande d’un accusateur citoyen qui transmet les éléments de preuve et factuels au comité de suivi et d’orientation des cas. Un « rapporteur » est préalablement désigné par le Comité. Pour cette désignation, il est tenu compte des capacités et aptitudes du rapporteur à connaître l’affaire et à la démêler. Il doit écarter toutes les situations de conflits d’intérêts ou de manque d’indépendance. Les membres du tribunal qui doivent juger de l’affaire sont désignés sur les mêmes bases et dans les mêmes conditions. Le jugement du tribunal se fait sur la base des considérations d’intérêt général et au regard des valeurs éthiques, morales et des traditions. Le tribunal populaire n’a aucun pouvoir de prononcer des sanctions, voire des peines.

L’objectif est de bannir le mauvais citoyen de la cité par le regard des citoyens conscients de leurs engagements dans la cité et consciencieux de leurs devoirs.

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